Ce lundi 23 octobre nous sommes 61 au Lac du Der toute la journée pour la fête de la grue. La pluie ne nous quittera pas. Notre passionnant guide du matin, Alain, nous accueille à Sainte Marie du Lac-Nuisement. Il nous apprend que le site du lac était à l’origine une épaisse forêt de chênes (Der signifie chêne) sur un terrain très humide voire marécageux dû à la présence en sous-sol une couche d’argile de plus de 30 m d’épaisseur. Malgré ces conditions peu favorables les moines cisterciens décidèrent d’exploiter cette forêt créant un village de bûcherons composé de maisons de bois. Les maisons étaient démontées et remontées au fur et à mesure que le chantier s’enfonçait dans la forêt. Faute de pierre disponible, les fermes et les habitations des villages ont adopté une architecture à pans de bois entre lesquels sont intercalés du torchis, des carreaux de terre, ou encore des briques. Les pierres importées très coûteuses, servaient pour le soubassement en l’absence de fondations. Les églises à pans de bois utilisent les mêmes matériaux et sont surmontées de flèches et couvertes d’ardoises ou d’écailles de bois. Du fait de leur mode de construction, maisons et églises peuvent se démonter et se remonter aisément.
A la suite des crues de la Seine de 1910 et 1924, la décision a été prise de créer des retenues d’eau pour atténuer l’ampleur des crues à Paris et selon les besoins renforcer le débit de la Seine et de ses affluents. Ainsi furent aménagés non loin de Troyes, les lacs d’Orient, du Temple et d’Amance qui régulent les cours de la Seine et de l’Aube. Près de Saint Dizier, le site du Der, cuvette naturelle sur une couche d’argile imperméable, présentait toutes les qualités pour accueillir une réserve d’eau qui régule la Marne et la Blaise. Un premier lac dénommé le Vieux Der a été aménagé en 1938 puis entre 1967 et 1974, une brèche l’a relié au lac du Der actuel d’une surface de 48 km2 et de 4 à 7 m de profondeur en moyenne (18 m au maximum). L’ouvrage a nécessité la destruction de trois villages, Chantecoq, Champaubert aux Bois, et Nuisement aux Bois, l’expropriation et l’expulsion de plus de 300 personnes. Arbres, végétation, constructions ont été brûlés pour éviter tout risque de putréfaction. Il n’est rien resté. L’église de Champaubert qui se dresse sur la presqu’île du même nom doit sa survie à sa position sur un promontoire. Les habitants ont été dédommagés, relogés dans la résidence de leur choix, et les dépouilles de leurs proches transférées dans les cimetières qu’ils ont désignés. Mais cela n’a pas dissipé le traumatisme de l’engloutissement de leurs racines. Aussi un Village Musée a-t-il été créé à Saint Marie du Lac-Nuisement dans lequel l’église à pans de bois et son cimetière, la Mairie-école, la maison du forgeron, et un pigeonnier de Nuisement aux Bois ont été remontés.
Outre sa destination de réserve d’eau, le lac du Der a un rôle économique grâce à ses aménagements touristiques : 6 plages, 3 ports de plaisance, 250 km de chemins balisés et de pistes cyclables, des observatoires des oiseaux. On peut y pratiquer la pêche tant foisonnent les carpes, brochets, brêmes…et silures introduits par un imprudent, qui tous se reproduisent naturellement. Giffaumont-Champaubert notamment offre office du tourisme, commerces, hébergements, activités nautiques et sportives, camping, restaurants, et même un casino. C’est à Giffaumont que nous avons pris un excellent repas servi par un personnel efficace et souriant.
En début d’après-midi, Noémie qui devait nous indiquer les visites possibles jusqu’au coucher des grues, était injoignable. Nous avons rejoint le site de Chantecoq où se tenait une exposition sur la faune et l’histoire du lac. Le responsable de la salle d’exposition a très aimablement contacté deux collègues qui sont venues ouvrir pour nous l’Office du Tourisme fermé le lundi, nous permettant de nous mettre à l’abri de la pluie, de récolter cartes et dépliants et de faire quelques menus achats comme le miel de la Grange aux Abeilles.
Début novembre le lac est au plus bas, découvrant des zones humides qui attirent les oiseaux dont les grues cendrées. Par an, 200 000 à 350 000 d’entre elles transitent par le lac depuis les pays nordiques sur la route de l’Espagne et de l’Afrique du Nord. Parmi elles, 20 000 à 30 000 restent là pour l’hiver. Hautes de 1 m avec plus de 2 m d’envergure, les grues vivent environ 20 ans en couple. Les femelles pondent deux œufs à 48 heures d’écart. Le jeune issu du premier œuf est élevé par le mâle et le second par la femelle. Les adultes se reconnaissent à leur tête blanche et les jeunes à leur tête rousse. Les jeunes feront deux migrations avec les parents avant de s’émanciper. Durant leur étape au Lac du Der les grues se nourrissent dans les champs cultivés dans les terres avoisinantes. Une ferme cultive exclusivement pour les oiseaux. Les autres agriculteurs sont dédommagés pour les pertes causées par les grues.
A 17h00 un petit train et son chauffeur-commentateur, nous conduisent sur la digue entre Giffaumont et le site de Chantecoq pour voir le retour des grues de l’intérieur des terres jusqu’au lac où elles se posent pour la nuit dans 30 cm d’eau, perchées sur une patte, l’autre patte au chaud dans le plumage. L’eau les avertira de l’approche éventuelle d’un prédateur. D’abord ne sont visibles sur les berges ou dans l’eau que des canards, des sarcelles, des foulques, des cygnes, des aigrettes blanches, des cormorans… Puis survient avec un cri caractéristique, un premier vol en soc de charrue, suivi d’un autre, et d’un autre…Contrairement aux oies cendrées qui ont un vol battu c’est-à-dire qu’elles battent des ailes sans cesse, les grues profitent des courants porteurs et de l’aspiration de celle qui précède. Celle qui peine à fendre l’air est à la pointe du V et change sans arrêt pour que toutes, même les jeunes de l’année, aient le même degré de fatigue.
Comme un point final à cette journée, un arc en ciel très lumineux se dessine au-dessus de nous.
Mireille
Photos de Denis
Photos d'Annie
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